“À la folie”, Clémentine Célarié

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Je pense à tous ceux que j’ai laissés. S’ils savaient où je suis, ils seraient totalement paniqués ou dégoûtés. Ils auraient peur. Ça me fait rire. Je me sens en vacances. En vacances du monde. En vacances du système, de la société, de toutes ces règles qui me tuent et dont je ne veux plus. Je sais que je fuis, que je fais l’autruche, mais il me faut du temps pour ressortir la tête de l’eau. Je veux changer de vie, c’est sûr. Il y a des actrices qui vont en thalasso pour se reposer, moi je suis dans un asile de fous. Au palace des zombies.” (Page 83)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Avec ce troisième ouvrage aux éditions du Cherche-Midi, Clémentine Célarié revient en force et en douceur sur un thème qui lui est cher. “À la folie” entraîne le lecteur dans le monde des “empêchés”, comme elle le formule si pudiquement, c’est-à-dire des personnes internées dans des établissements psychiatriques. Avec son héroïne Marguerite, une vedette du petit écran en crise existentielle, elle jette une passerelle entre les vaillants et les accidentés de la vie. Elle y met beaucoup de sa fougue et de sa légèreté pour transfigurer sa Marguerite en pleurs en une Rita rieuse. Une histoire d’amour fou, total, vrai, unique, naît dans le dernier refuge des êtres retranchés du monde que Marguerite/Rita se donne pour mission de réveiller. L’aria entêtant des Souffrances de Werther (opéra de Massenet) rythme, au fil de la narration, les aventures des résidents, agissant comme un aiguillon sur leur cœur assoupi. “Pourquoi me réveiller, ô souffle du printemps, pourquoi me réveiller ?” Oui, Clémentine, pourquoi les réveiller au monde ?

Animatrice d’une téléréalité de bas étage, Marguerite précipite dans le néant sa carrière en perdition. Elle donne sa démission, et se retrouve à la rue. En errance dans Paris, sa vie contenue dans un maigre bagage, elle rencontre un homme aussi égaré qu’elle. Elle le ramène chez lui : une institution pour handicapés, dirigée par le bienveillant Adama. Marguerite se plaît dans ce lieu retiré où elle trouve du réconfort. Sa nature fantasque reprend peu à peu le pas sur sa déprime. Émue par les résidents, elle veut aider par n’importe quel moyen. Alors elle crée un atelier théâtre, auquel s’inscrivent Raoul, Pompon, Rachel, Tignasse, Abysse, Vadim, Victor, puis Barnabé ; chacun a sa lumière propre, mais elle ne brille presque plus, tamisée par trop de calmants. Marguerite, rebaptisée Rita, les incite à exprimer leur vie intérieure et à la partager. Peu à peu, chacun reconquiert son intégrité. La magie opère des changements joyeux, mais bouscule les esprits étriqués. Rita et ses amis devront lutter pour gagner leur vraie liberté d’être différent.

Clémentine Célarié signe un roman “différent” dans ce qu’il y a de plus pur et de plus réjouissant. D’une plume à la fois guillerette et viscérale, qui ne manque pas d’humour, elle déchire le voile du honni avec l’enthousiasme d’une conquérante. Elle proclame sa déclaration d’amour à tous les vents, qu’ils soient bons ou contraires, avec cette formidable énergie contagieuse. Sans jugement, l’auteure choisit d’illuminer la profondeur de ces êtres foisonnants, riches de ce qu’ils sont et de ce qu’ils peuvent apporter. Si tant est qu’on s’ouvre à eux et qu’on les laisse libres de créer. Ce roman est un hymne à la vie et à l’amour sans frontière. Il se veut aussi une passerelle entre la rive des endormis et la rive des réveillés. Laissons à chacun la liberté d’être sur sa rive… Et si la solution était de faire connaissance sur la passerelle ?

Nathalie Gendreau

 

Éditions du Cherche-Midi, 19 octobre 2017, 272 pages, 17,50 € version papier et 13,99 € version numérique.

 

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