THÉÂTRE & CO
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Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
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Pièce écrite par Roger Lombardot et éditée en 2007 par Les Cahiers de l’Égaré, « 68 Mon Amour » est la version théâtralisée d’un témoignage nu, vibrant, sans filtre et lucide sur les événements de Mai 68. Loin de la résumer à la violence, l’auteur analyse cette époque comme l’émergence d’une jeunesse en recherche d’expression, de liberté d’être et de dire, comme l’affranchissement des chaînes du passé, de la dictature des traditions, du travail et des interdits. Pour cet enfant de l’après-guerre, qui eut « la sensation de vivre dans un monde gris au milieu de morts-vivants », 1968 est une année éblouissante, celle de sa renaissance qui a tout d’une révolution intérieure. Dans le rôle de cet homme en quête de beau, car convaincu que « la beauté sauvera le monde », Ludovic Salvador s’impose en force et en sensibilité. Son interprétation tout en nuances et en silence bavard donne la voix à une utopie. Il parvient à rendre vivante cette idée d’absolu qui a valeur de message pour ces jeunes générations qui n’ont pas vécu l’époque survoltée, révolutionnaire dans la nouvelle façon de penser la vie et sa relation à l’autre. Des thèmes qui restent ô combien d’actualité.
Cinquante et un ans après la commémoration de Mai 68, Ludovic Salvador s’empare du texte de Roger Lombardot avec la gravité et la naïveté que véhicule cette époque aux répercussions extraordinaires. Le comédien tient le livre de l’auteur entre les mains, et commence à lire, posément, faisant résonner la musique des mots. Peu à peu, leur force semble l’ensorceler, le comédien fait corps avec la pensée de l’auteur, il devient l’auteur, abandonnant son témoignage écrit pour le verbaliser. Le vivre et le dire. Intensément. Passionnément. Fuyant ces « morts-vivants » des générations précédentes qui ne pensent qu’à travailler pour s’élever de leur condition. C’était aussi le souhait de la mère de l’auteur. Elle usait sa santé à l’usine pour offrir des études à son fils. Mais le joli mois de mai de cette année 1968 a modifié tous les plans, sages et chargés d’espoir. Le jeune Lombardot a bien essayé le travail, mais très vite il a senti que ce n’était pas fait pour lui. Lui, il rêve de liberté sur tous les plans. Il refuse de se laisser enfermer dans un système de référence. Son ambition est de redevenir un homme. Pour cela, il se retire de la (sur)vie des « morts-vivants » pour expérimenter une nouvelle forme d’existence qui s’appellerait la vie, la vraie, la seule en symbiose avec le rythme de la nature ! En se mettant en retrait, il découvrira l’amour, d’un premier regard partagé, sans tabou. Les plaisirs de la chair enfin dédiabolisés ! C’est ainsi qu’il devient « riche du monde sans rien posséder ».
Tour à tour poétique, politique, philosophique, le texte de Roger Lombardot est aussi chargé d’espoir. À l’heure des actions des Gilets jaunes qui s’inscrivent dans la contestation durable, ce texte aux mots choisis, précis, châtiés, aimés, est d’une acuité infinie. En mai 68, on se battait pour la paix, la parole et le sexe libérés, pour réinventer le monde et le rendre meilleur. Se révolter pour le pouvoir d’achat est, pour l’auteur, abject, car « les hommes se mettent en captivité au nom de la sécurité ». La résonance de ses propos dans notre époque est édifiante, glaçante d’actualité. Servant magnifiquement ce texte engagé, Ludovic Salvador explore tous les coloris des émotions, de la colère à la tristesse, jusqu’à la passion pour celle qui deviendra la femme de Roger Lombardot. Un amour intense et libre qui l’amène à s’extasier devant le sexe féminin et à le vénérer jusqu’aux larmes naissantes. Ludovic Salvador ne lâche pas l’intensité de son interprétation, tel le funambule déambulant sur son fil sans filet. Le texte est ardu. Que de mots ! Mais que de beaux mots, poétiques et signifiants mis en valeur par une mise en scène de Chantal Péninon sobre et généreuse, qui nous permet de vivre en direct l’appropriation progressive d’un texte dans le corps du comédien. Une métamorphose physique en gradation qui s’accomplit en écho du sens du texte.
Texte et photos de Nathalie Gendreau
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“68, Mon Amour”
Distribution
Avec : Ludovic Salvador
Créateurs
Auteur : Roger Lambardot
Mise en scène : Chantal Péninon
Au Festival Off d’Avignon 2019, du 5 au 28 juillet 2019, à 15 h 15. Relâche les 8, 15 et 22 juillet.
Au Théâtre de la Croisée des Chemins à Avignon.
Durée : 1 h 15.
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !