« Lettre à Moïse – Itinéraire contourné d’un juif de Hongrie », Rémi Huppert

Temps de lecture : 3 min

Extrait (page 40)
“Samuel et Leopold questionnaient Moïse :
– Hollander… Austerlitz… Et ton nom, père, notre nom ?
– Un décret nous imposa un patronyme. Je me suis creusé la tête, le cœur et les sens. Au début, rien.
– Aucun métier, aucune bataille ?
– Non. A la fin, j’ai choisi… Huppert. Des Huppert vivaient là, des Lorrains incités à peupler Saros, des catholiques laborieux, sans rivaux pour cultiver la terre… comprenez bien, les enfants, Huppert… ça sonnait germanique, ça faisait respectable…”

« Lettre à Moïse – Itinéraire contourné d’un juif de Hongrie », Rémi Huppert

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

Parvenu à un stade de son existence, le besoin de regarder en face le passé est irréfrénable. La plume démange. Les idées affluent. L’émotion submerge. Quand le moment se présente en toute humilité, il est juste. L’écriture en devient fluide et la lecture prend une saveur toute particulière. Dans « Lettre à Moïse – Itinéraire contourné d’un juif de Hongrie », aux Éditions du Petit Pavé, l’écrivain et essayiste français Rémi Huppert se plie au délicat exercice de ce retour sur soi, sur sa branche paternelle. Pour lui, il s’agissait de « se hâter de bien faire ». En quête de ses origines, l’auteur revient sur son ascendance et plus particulièrement sur les traces de son grand-père Moïse, en Hongrie. Grâce à ces recherches patientes et opiniâtres et aux témoignages d’une famille éclatée aux États-Unis et en Europe, il redessine le parcours de cette fratrie des Huppert aux trajectoires d’exilés si différentes, fuyant « les rejets xénophobes ». Il découvre à cette occasion que son patronyme est un nom d’emprunt, au XIXe siècle. À la lecture de ce cri d’amour pour les siens, on ne peut qu’être ému et reconnaissant à l’auteur d’avoir partagé un roman familial douloureux, en toute délicatesse et authenticité.

Résumé

Le petit Rémi est empli de questions et d’absence de réponses. Quand par un heureux hasard il en a, elles entraînent d’autres questions à l’infini. Ainsi, pourquoi sa grand-mère maternelle a-t-elle eu droit aux orgues de l’Église pour ses funérailles alors que son grand-père paternel n’a eu aucune cérémonie, si ce n’est un caillou sur la tombe ? Il ne pratiquait pas, lui avait répondu son père. Longtemps il est resté sans savoir qu’il avait des origines juives. Sa mère étant catholique, elle l’emmenait à la messe tous les dimanches, son père prétextait un empêchement pour s’y soustraire. Cet adolescent, perturbé entre ses deux religions, était solitaire, n’ayant pour toute compagnie que ses héros de plume et le piano qu’il étudiait. Le silence et les non-dits le tourmentaient. Il lui fallait savoir, reconstituer coûte que coûte l’arbre jusqu’aux racines. À son père, il osa parler de ce besoin viscéral. Contre toute attente, il accepta le grand voyage. Ils partirent à quatre avec sa mère et sa sœur aînée sillonner la Hongrie et la Slovaquie en voiture – au temps du bloc soviétique –, remontant la piste de ses ancêtres juifs. Mais le pèlerinage ne fut que déceptions, les traces de Moïse et de ses ascendants dans les synagogues et les archives nationales avaient été détruites. Le voyage vers ses origines devait être la fin de ses tourments, il ne fut que frustration et « révolution intérieure ».

Pour approfondir

La « Lettre à Moïse » est une réconciliation de l’auteur avec lui-même, mais aussi avec les membres de sa famille. Élevé dans une maison tournée davantage vers le futur que vers le passé, Rémi Huppert recherchait cet équilibre, bien légitime, pour asseoir une personnalité brillante, sensible et timide. S’interrogeant sans cesse sur ses actes et leurs portées, il s’est efforcé à « agir à bon escient ». Écrire était une façon d’entrer en lui et de réparer ce manque de ceux qui l’ont précédé. À travers ce bel objet de mémoire, l’auteur met en exergue avec un profond attachement et une grande tendresse la destinée d’une famille contrainte à fuir pour échapper à la misère, pour survivre aussi. Dans une prose élégante et limpide, il nous donne à comprendre la situation précaire des juifs en Europe de l’Est, mais aussi ce formidable élan vital qui pousse à reconstruire, encore et toujours, et parfois ailleurs. On ressent avec les protagonistes la déchirure de leur exil, le sentiment d’abandon de leur Patrie, leur ardeur à se faire une place, prêts à la conquérir à force de labeur et d’espérance dans un avenir meilleur. Par son sens aigu de l’Histoire, Rémi Huppert réussit à transmuer sa biographie familiale en création littéraire et à lui conférer une valeur universelle.

Nathalie Gendreau

Éditions du Petit Pavé, mai 2021, 168 pages, à 16 euros.

1 réflexion au sujet de « « Lettre à Moïse – Itinéraire contourné d’un juif de Hongrie », Rémi Huppert »

  1. Votre plume, chère Nathalie Gendreau est aussi magnifique que celle des auteurs que vous nous donner à découvrir.

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