“Toi, Caïphe, juge de Jésus”, Nicolas Saudray

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Nous avons beau tendre l’oreille, dit Caïphe. Aucun son ne sort de la bouche de cet homme. Alors Pilate se tourne vers l’assistance et demande si quelqu’un peut expliquer son mutisme. Personne n’ose. Hors de lui, le préfet prononce une condamnation à mort. Et pour ridiculiser le condamné, il ordonne de placer en haut de sa croix, un écriteau en trois langues : Jésus de Nazareth, roi des Juifs.
En latin, cela donne INRI, observe Amos. Mais l’intéressé avait la faculté de faire appel à l’empereur, Tibère en l’occurrence. L’en a-t-on informé ?
– Oui, on le lui a signifié. Il n’a pas saisi la perche. Il a dû se dire que de toute façon, il n’échapperait pas au supplice.” (page 129)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Après Le Jaune et le Noir – Sur les pas de Stendhal, Nicolas Saudray a marché sur les pas de Caïphe, grand-prêtre de Jérusalem dont l’Histoire n’a fait que peu de cas, à l’opposé de Judas et Pilate, des contemporains ayant eu un rôle dans la condamnation à mort de Jésus. On ne connaît ni la date de sa naissance ni celle de son décès. Avec Toi, Caïphe, juge de Jésus, l’auteur rompu aux rouages judiciaires, ayant été lui-même haut fonctionnaire et conseiller à la Cour de Cassation, s’est intéressé de très près à ce grand-prêtre saducéen qui a occupé dix-huit ans sa lourde charge sous l’occupation romaine. Longévité assez rarissime pour y dénoter toute l’intelligence politique qu’il savait déployer pour être à la fois gardien des traditions juives et auxiliaire de Rome. Fait assez signifiant pour donner envie à l’auteur de reconstituer le parcours de ce grand-prêtre qui serait le véritable instigateur du trépas de Jésus. Nicolas Saudray s’y est employé formidablement, en étayant son roman par des écrits d’historiens et en l’enrobant d’un vernis pédagogique délicat et astucieux.

Sept ans après la crucifixion de Jésus, Caïphe demande à son jeune neveu avocat, Amos, de rédiger une missive destinée à Caligula, le nouvel empereur romain, afin de l’informer de l’iniquité de sa disgrâce. Après avoir destitué son vieux complice Pilate, Lucius Vitellius l’a révoqué de sa charge de grand-prêtre sous le prétexte d’avoir persécuté les Samaritains. Pour se justifier, Caïphe énumère tous les services qu’il a rendus à César et à Rome. Parmi la longue liste, l’arrestation du « redoutable agitateur » originaire de Nazareth, appelé Jésus. Amos tient la plume de son vieil oncle qui, malgré son âge avancé, a gardé toute sa verve d’esprit en empruntant des sentiers tortueux. Tandis que Caïphe se fond dans le moule du sauveur de la Judée, tout en louant la perspicacité de Pilate, Amos s’interroge sur Jésus en tant qu’homme et la justesse des faits qui lui sont reprochés, sur l’inhabituelle célérité des auditions et du procès, sur l’étrange volonté du prisonnier à ne pas s’adjoindre une défense à laquelle il avait droit. Ses questions vont le pousser jusque dans les bras d’une vérité révélée qui échappe à son entendement, en rencontrant incognito le frère de Jésus, Jacques, premier « évêque » de Jérusalem.

Outre d’apporter un éclairage novateur sur un fait historique battu et rebattu à l’envi, Nicolas Saudray explore une piste qu’il a défrichée avec méthode et à la lumière de sources diverses. La mise en abyme de Caïphe est construite autour d’un dialogue percutant sur son rôle prépondérant dans la condamnation à mort de Jésus. L’ancien grand-prêtre relate les faits qui ont précédé et concouru à sa disgrâce, en se les remémorant sept ans après. Le lecteur assiste, en direct, à la manière dont l’Histoire peut se réécrire, par convenance personnelle, en fonction des buts poursuivis, ce qui augmente le suspense du roman… même si on connaît la fin de l’histoire ! Fatalement, cette réécriture renvoie à d’autres, celles des Apôtres qui ont écrit la vie de Jésus plusieurs années après sa mort, et à la suggestivité des écrits. Dans la version de Nicolas Saudray, l’incrédulité ne fait pas sa loi, elle est questionnée avec finesse et avec la curiosité de celui qui cherche à comprendre. À la fin, on lui sait gré d’avoir alimenté notre propre curiosité avec un arbre généalogique simplifié des grands-prêtres de Jérusalem et d’une postface très nourrie qui replace le procès de Jésus dans leur cadre historique. À quoi a tenu la crucifixion de Jésus, d’où a découlé l’expansion du christianisme ? Vous le découvrirez en lisant Toi, Caïphe, juge de Jésus  !

Nathalie Gendreau

 

Éditions Michel de Maule, août 2017, 210 pages, à 20 euros.

 

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1 réflexion au sujet de « “Toi, Caïphe, juge de Jésus”, Nicolas Saudray »

  1. Une nouvelle écriture sur le procès de Jésus ?!

    Diable ! Diable ! Si j’ose dire …

    Le texte de Nathalie Gendreau donne indéniablement envie de lire ce document qui promet une nouvelle réflexion sur ce thème qui agite historiens et philosophes depuis deux mille ans. Promesse tenue semble-t-il car l’auteur aligne des références qui donnent de la crédibilité à ce récit où le divin se conjugue avec l’humain. Mais, comme pour toutes les écritures produites jusqu’à présent, la vraie question subsiste : une écriture humaine peut-elle traiter d’un événement qu’elle qualifie de divin ?
    En apôtre de l’écrit, j’ai hâte de faire connaissance avec Caïphe. Merci Nathalie Gendreau…

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