Extrait (page 170)
“Ce prochain amour”, Nora Benalia
“J’aimerais être un homme, avoir une paire de couilles comme balancier pour m’assurer de l’équilibre et de la justesse de mon attitude. Être stoïque. Enfouir mes émotions dans mon caleçon, les sortir quand je bande, et pouvoir justifier mes comportements dégradants par ma misère sexuelle, qui deviendraient misère affective puisque j’aurais tout mis ensemble dans ma culotte.”
Avis de PrestaPlume ♥♥♥
Ne vous fiez pas au titre. L’eau de rose ne coule pas entre les lignes de « Ce prochain amour », paru aux éditions Hors d’atteinte. Dans son premier roman, Nora Benalia évoque dans une crudité prononcée, sans filtre, la femme et sa relation à l’homme, à l’amour, au sexe, et à tous les rôles qui lui sont assignés par la société depuis la nuit des temps. L’auteure ouvre grand les vannes de l’audace et du réalisme brutal dans les réflexions et les mots choisis. Les pensées-fleuve de la narratrice sur la condition des femmes, et notamment des femmes au foyer, charrient de la révolte contre les violences envers le sexe dit faible, les stéréotypes, les sacrifices consentis, la misère affective, la volatilité de l’amour. Avec trois enfants à élever seule, désargentée, sans travail, la narratrice a la rage et le dit crûment au travers d’un texte féministe et critique, porté par l’indépendance de la femme, à l’image des piliers fondateurs de la maison d’édition Hors d’atteinte. Ouvrage surprenant par la verdeur de sa verve et touchant par la vigueur du remue-ménage intérieur.
Résumé
La narratrice n’est pas une « Mère courage, une Putain respectueuse ou une Vierge sainte ». Elle est juste une femme qui a abandonné ses rêves de carrière de comédienne pour s’occuper de son foyer. Volontairement, pensait-elle… au moins jusqu’à ce qu’elle découvre le vrai visage de tortionnaire domestique de son mari. Il y a longtemps qu’elle aurait dû fuir, mais comment fuir, même si sa survie psychologique et son intégrité physique en dépendaient ? Comment vivre dans une société qui donne le beau rôle à l’homme ? Partir et se retrouver seule peut faire peur. Mais la narratrice a passé le cap. Depuis dix ans, elle vit en anticipation une sorte de confinement intérieur, prisonnière d’elle-même et de sa situation. Sans revenus réguliers, avec des enfants à charge, les dettes ne peuvent que s’accumuler. Et l’amour dans tout cela ? Les rencontres nécessitent de l’énergie, même sur les réseaux sociaux. Pourtant, que ne donnerait-elle pas pour « baiser ». Le mot est aussi cru que son envie. Elle a cruellement besoin d’engloutir en elle un homme, refusant l’idée d’être pénétrée. Mais l’inconnu avec lequel elle partage ses rares moments de solitude sur le Net est échaudé par les femmes. Tandis qu’il refuse l’attachement, il enflamme la messagerie, puis tergiverse, puis fait le mort, attitudes qui exaspèrent le désir de la narratrice et la plongent dans le désarroi.
Pour approfondir
Se peut-il que le prochain amour existât ? Un amour inconditionnel qui se propagerait d’être en être, pour le bien de l’Humanité ? Par la voix de son héroïne « ordinaire », Nora Benalia cherche désespérément cet amour-là, non comptable de qui l’on est. Le fil d’Ariane de « Ce prochain amour » est la virulence des réflexions féministes. L’auteure parle d’une « arnaque selon laquelle les hommes détiendraient le monopole du courage » ou fait « le constat répété que l’empathie est un mot absent de leur vocabulaire ». Les femmes ne sont-elles pas courageuses de vivre seules, bataillant chaque jour pour élever correctement leurs enfants, en dépit de leur ingratitude ? L’auteure élève la femme au rang d’une guerrière malgré elle, à la fois forte par obligation et en demande de tendresse, alors que l’homme reste dans le quant-à-soi de son sexe, dur en apparence, mais flageolant dès les premiers engagements. Pour un premier roman, Nora Benalia n’y va pas par quatre chemins, elle écorche joyeusement les oreilles avec une langue alerte et effilée, évoque le sexe sans complexe, avec des considérations hardies. Si la narratrice a la rage, l’auteure a sans aucun doute la niaque. C’est tout ou rien : on aime ou on déteste. Moi, l’audace, j’aime bien ça ! Ça change un lieu commun en objet singulier.
Nathalie Gendreau
Éditions Hors d’atteinte, 16 janvier 2022, 208 pages, à 17 euros.
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !
Mon commentaire sur une critique signifie, évidemment, que je n’ai pas encore lu l’ouvrage que Nathalie Gendreau a choisi de mettre en lumière. La parenté de genre avec l’auteur explique peut être une certaine attirance pour les émotions et convictions affichées par Nora Benalia dans son premier roman.
Mais je devine chez Nora Benalia une révolte féminine qui semble cultiver la fatalité victimaire pour se transformer en un féminisme extrémiste de combat que je ne partage pas. Tout extrémisme est excessif et donc, par définition, insignifiant. Le séparatisme entre les genres me paraît aussi dangereux pour la paix dans le monde que le séparatisme entre les ethnies ou les croyances. Cela n’empêche pas d’avoir de la compassion pour les victimes individuelles du « système », Femmes et Hommes évidemment.
En relisant les trois romans préhistoriques de Rosny Ainé, « La Guerre du Feu », « Helgvor du Fleuve bleu » et « Le Félin géant » on comprend que, à cette époque, l’homme affrontait les dangers extérieurs pour assurer le présent pendant que la femme avait la lourde charge de gérer l’avenir proche en protégeant le feu, et l’avenir lointain en donnant la vie. Le contraire aurait été non seulement stupide mais tout simplement impossible. Hier comme aujourd’hui, quoiqu’en disent les transhumanistes.
Mais le Monde a toujours connu ses exceptions aux convenances en cours. De Jeanne d’Arc à Marie Curie, en passant par mère Thérésa et Joséphine Baker, les femmes ont toujours magnifiquement illustré cette pensée de La Boétie, « Soyez résolus à ne plus servir… et vous voilà libres ».
La liberté de penser, de croire et de s’exprimer n’a de sens que dans une conviction basée sur ce que je nomme une « égalité de considération réfléchie ». Une égalité qui évolue avec le temps. Une égalité qui n’a pas de sexe et qui n’a qu’un seul genre : le genre humain.