Résumé
Samy, convalescent, mène une vie solitaire dans un hôtel de La Baule. Une lettre de la petite-fille d’une femme qu’il a connue pendant la guerre vient bouleverser son quotidien, en lui rappelant son passé. Ce roman épistolaire, inspiré de la vie de Samuel Szajner, rescapé des camps, nous raconte l’histoire de cet ancien déporté, dénoncé à la milice, alors qu’il avait trouvé refuge dans les Pyrénées et devait passer aux États-Unis. À quel prix doit-on sa survie ? Samy s’interroge et met peu à peu son âme à nu au fil de la correspondance. S’ouvre la voie d’une réconciliation avec soi-même et l’humanité. Nathalie Gendreau signe là un premier roman historique en donnant une respiration littéraire à la vie de S. Szajner.
Extrait
L’année de mes quinze ans, j’eus ma première débrouille, ma première trouille et ma première victoire sur la Pieuvre. C’était l’été. Mon père m’envoya acheter des rouleaux de beurre à Angers, en train. C’était la première fois que je prenais le train seul. J’emportais avec moi une valise assez grande pour transporter vingt kilos de ce trésor doré. je gagnai la gare très tôt le matin. Mon père me laissa les consignes pour le retour (c’est toujours plus délicat, les retours !) : descendre à Versailles, prendre un train de banlieue et le métro à la Porte de Versailles. De là, je devais me rendre rue Tracy, aux bureaux de M. Zambrowski.
Éd. JC Gawsewitch, mars 2006, 256 pages, 19,90 €. Édition épuisée, seulement disponible via les sites marchands.
Samy, un adolescent dans l’enfer nazi
« Ainsi fut fait » n’est pas l’évocation de l’accomplissement divin ou de la fatalité, mais celle de la détermination farouche d’un adolescent à rester en vie dans les camps de concentration. Samy a 16 ans quand son destin se joue. Entre espion ou Juif, il faut choisir ! Eh bien ! Entre se taire ou mourir ? Il a choisi. Entre subir la torture ou céder ? Il a choisi.
Puis la libération survient, inespérée, telle une femme qui s’est fait désirer. Elle tournoie, tentante, affriolante. Mais que peut-il ? Il ne pèse que 38 kilos. Dachau compte ses milliers de victimes.
Il vivra donc ! Mais à quel prix ? Au prix d’un immense sacrifice à l’autel de l’oubli. Oublier les cris, les pleurs, la faim, le froid, les cadavres. Oublier la terreur. Oublier soi.
Pourtant, une jeune femme le tirera de son amnésie protectrice. Sa demande insistante pour découvrir un passé brisera les résistances de Samy. À l’occasion d’un échange épistolaire, Aïda effleurera l’âme d’un enfant qui n’aura pas fini de grandir.
Mais l’amitié tâtonne avant de consolider ses fondations. Il n’est pas simple de libérer l’enfant encore emprisonné ! Passé les heurts et les incompréhensions, une véritable complicité naît entre cet homme de 79 ans et cette femme malmenée par la vie. Après chaque lettre, Samy se libère d’une pelure et Aïda s’en revêt une nouvelle.
Et, au fil des échanges, en reconstruisant ensemble leur histoire, elle lui rendra la confiance en l’Humanité, il lui donnera confiance en elle. Puis, enfin réunifiés, ils poursuivront chacun leur route. La route de la liberté.
Ce roman épistolaire ne raconte pas uniquement la vie d’un ancien déporté, l’un des rares survivants du « Convoi C », il reflète la voie d’une réconciliation avec l’autre et soi.
Un homme sur le chemin de sa résilience
Samy est entier, pince-sans-rire, ironique, colérique, provocateur. Lors des entretiens, j’avais noté ses phrases fortes, parfois choquantes, que seul un ancien déporté peut proférer à son encontre. Il aimait tourner en dérision l’horreur qu’il avait vécue.
Je m’inspire de notre relation pour tricoter les liens entre Samy et Aïda. Il la bouscule, l’attendrit, la surprend, la tourmente, l’invective, la plaisante comme il le fait avec moi. Quand je lui demande « Comment vous portez-vous aujourd’hui ? » Il me répond : « Comme un déporté » ou « Je suis vieux dans mes pieds ».
Je me suis si bien imprégnée de son histoire que ses émotions coulent entre mes mots que je marie aux siens. Je retrace son enfance, la déclaration de guerre, le départ de son père, son retour blessé, puis son arrestation. L’attente, les cachettes, le changement d’identité, la fuite vers l’Espagne, la trahison, la prison de Leipzig, la torture, les camps, le convoi de la mort, la libération, le réapprentissage de la vie, la réussite sociale, la faillite familiale.
Je relate les temps forts à la première personne. Les lettres provoquent l’intimité avec sa conscience. Quand il écrit à sa correspondante, il se parle, il se confie, il se remémore, il se console, il se découvre, il se réconcilie avec lui-même et les hommes. Aïda n’a d’existence que pour le faire valoir, pour produire chez lui des réactions, une introspection libératrice.
Le néologisme « délivratrice » serait plus juste, car il apporte une dimension active… se délivrer de lui-même, enfermé malgré lui dans la prison de son inconscient. La liberté de Samy lui est venue de « l’autre », l’Américain qui s’est penché sur lui à Dachau pour lui trouver un peu de vie parmi la mort agonisante dans des pyjamas rayés rassemblés à la hâte. Il a donc un besoin immodéré d’être l’acteur de sa vie, sans plus aucune contrainte. Ce sera sa résilience.
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