« Le Roman d’Elsa », Geneviève Senger

Temps de lecture : 2 min

 

Extrait

“Péniches et embarcations de tout genre traversaient le bassin en direction du quai de la Loire. Le cocher, subjugué par cette activité bruyante, ne vit pas l’enfant qui venait de tomber à l’eau. Il n’entendit pas non plus les cris et les appels de la mère, engloutis dans le brouhaha général.
Elsa, qui venait d’atteindre l’extrémité du pont, remarqua la femme qui hurlait en fixant un point devant elle. En se penchant sur le parapet, elle vit les bras d’un enfant qui s’agitaient désespérément à la surface du bassin, la tête déjà sous l’eau. Puis la silhouette disparut. Le vacarme alentour n’avait pas cessé, et personne, hormis elle, ne semblait avoir perçu les appels désespérés. Elsa se mit à courir mais elle était si empêtrée dans ses jupons, serrée dans son corset, qu’elle dut ralentir.
Elle atteignit la berge au moment où un homme s’apprêtait à sauter.”

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

 

Avec “Le roman d’Elsa“, Geneviève Senger dresse le portrait passionnant d’une femme qui refuse de se soumettre aux conventions qui contraignent les jeunes filles au mariage arrangé. Issue de la grande bourgeoisie, Elsa Samuelson est si jolie et riche qu’elle ne manque pas de prétendants. Pourtant, son rêve vogue très loin des rivages du mariage et de la maternité. Elle voudrait étudier la médecine, un désir obstiné qui déconcerte sa famille. Il n’existe pas encore de femmes médecins. Et si Elsa était la première à ouvrir le chemin ? En parallèle de ce combat qu’elle devra mener sans faillir, elle va connaître ses premiers émois, une attirance forte pour Théo Dupin, un ouvrier syndicaliste à l’écoute de ces quelques voix féminines qui s’élèvent pour gagner leur indépendance.

Mais le père d’Elsa Samuelson, riche banquier parisien, offre la main de sa fille à Adrien de Longeville, un noble désargenté prêt à accepter une mésalliance pour renflouer l’honneur d’une famille en faillite. L’aristocrate est charmant et sait toucher le cœur d’Elsa. Pour conclure l’affaire, il lui propose un marché inattendu : un mariage blanc. Il lui promet qu’aussitôt mariés, il lui donnera son autorisation pour suivre des études et il la dispense de consommer le mariage. C’est le signe qu’Elsa attendait pour combler son rêve d’indépendance, mais surtout son désir de soigner les femmes encore nombreuses à mourir en couche. Une fois son diplôme en poche, il lui faudra bien du courage et de l’opiniâtreté pour affronter les résistances, parfois agressives, d’une société qui voit la prévention et la contraception comme une menace à l’ordre naturel établi.

Le roman d’Elsa” fait aussi une incursion dans l’univers du syndicalisme, de la camaraderie, des revendications, des grèves et des luttes intestines. Sous la plume alerte de Geneviève Senger, même les idéaux progressistes se fracassent contre le mur de la réalité des mentalités et des valeurs bien ancrées dans le siècle passé. Ainsi, au-delà d’une romance qui exalte la noblesse de cœur, l’auteure se saisit du sujet épineux de l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle en aborde les premiers frémissements avec délicatesse et distance. L’écriture est vive, sensible, empruntant au journalisme la description minutieuse et documentée, relatant des circonstances sans porter de jugement sur l’époque. Le texte gagne en réalisme, tout comme la romance qui se dégage de tout atermoiement amoureux qui occulterait le propos. Le lecteur appréciera de partir à la découverte d’un Paris de 1900 dans l’effervescence de l’Exposition universelle, et surtout du quartier du bassin de la Villette que l’auteure dépeint si finement qu’on sentirait presque les odeurs… Un bon roman à savourer et qui donne l’envie d’une suite.

 

Éditions Presses de la Cité, Collection Terres de France, mars 2017, 20,50 euros, 320 pages.

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