“Crise et châtiment”, Bertrand Fitoussi

Temps de lecture : 2 min

 

EXTRAIT

“Je me dis avec satisfaction que je suis maintenant complètement prêt à affronter les événements de l’année dernière. Finalement, le présent sert à se préparer à l’hypothèse où l’on revivrait le passé. Je suis enfin formé pour mon poste de l’an dernier. Je sais aussi comment j’aurais dû agir avec Sandra en 1984. Malheureusement, je ne suis absolument pas prêt à faire face aux événements qui vont réellement se produire et qui seront, c’est la seule certitude, totalement différents. C’est la définition de la maturité : accepter l’idée que l’on vit sa vie sans aucune préparation, puis que l’on meurt, pour la première fois également. La maturité, c’est accepter son immaturité. Je suis enfin mûr, professionnellement et sentimentalement. Je sais que je ne serai jamais préparé à rien, mais enfin je suis capable de regarder le passé dans les yeux et de dire : là je me suis trompé, là aussi et là aussi.”

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

Crise et Châtiment“, le si bien nommé, est un roman à deux voix à la résonnance autobiographique, qui oppose à la fiction un réalisme cinglant et brutal. Bertrand Fitoussi y décrypte l’inéluctable enchevêtrement des événements qui ont présidé à l’implosion du monde de la finance et scellé le sort calamiteux de nombre d’épargnants lors de la crise des subprimes, en 2007. Alors banquier international, l’auteur était aux premières loges de cette tragédie en plusieurs actes qui se jouaient sans filet, sans répétitions, sans l’expérience du connu.

2009. Matthieu Blanc est victime d’un AVC dans un bar londonien. Pendant le trajet qui le conduit à l’hôpital, c’est sa vie qui défile… ou plutôt ces quelques années depuis septembre 2006 qui ont précédé la descente aux enfers. Matthieu avait tout pour être heureux  : une carrière ascendante, directeur du développement de la vente “dérivés taux” chez Credixo, des bonus qui font rêver, une famille aimante, un appartement dans le quartier le plus chic de Londres, et un très bon ami dont les nombreuses aventures féminines scrupuleusement rapportées le faisaient fantasmer. Juste assez pour rester fidèle. Pourtant, lui, si réfléchi, si intègre, si prudent, met le doigt dans un engrenage, à son corps défendant et indéfendable, l’acculant dans un piège sans échappatoires. Il a suffi de si peu. Une promotion qui l’a contraint à occuper un poste dont il maîtrisait très mal les ressorts, la crise immobilière puis financière faite de soubresauts puis de tremblements, et ses retrouvailles sulfureuses avec un ancien amour de jeunesse, aussi toxiques que les emprunts immobiliers.

Le personnage nous dévoile les coulisses de la finance, où se coudoient pression, pouvoir, argent et sexe dans la même virtuosité. Les rivalités et la pression continuelle nourrissent la course aux bonus, et vice versa. Les nerfs doivent être d’acier, le doute exclu, les obstacles franchis. Chaque jour est une gageure pour Matthieu, un dépassement de soi, une épreuve qui peut trop vite se transformer en calvaire.

L’alternance des récits de Matthieu et de son meilleur ami Ruben, au langage cru, cynique, implacable, entraîne le lecteur néophyte dans une course effrénée vers un sauve-qui-peut chimérique qui dure trois ans, pendant lesquels ce héros déchu se débat et s’ébat comme un diable avec la même intensité, la même rage, pour évacuer et les produits bancaires toxiques et une libido survoltée. Un roman qui informe et divertit, un drame qui éclaire la face cachée d’une réalité irréelle, un monde parallèle où surnagent démesure et illusions en toute impunité… ou presque.

Éditions Scrineo, septembre 2016, 380 pages, 20€.

 

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