Murielle Magellan, l’exploratrice des rêves

Temps de lecture : 7 min

 

PORTRAIT PASSION

par Nathalie Gendreau

Au faîte du succès avec sa pièce « L’éveil du chameau », Murielle Magellan reste sous le feu des projecteurs avec la parution d’une nouvelle sur le thème de « Lolita » et l’adaptation pour la télévision de « Illettré », un roman de Cécile Ladjali. La romancière, scénariste, dramaturge et metteur en scène porte en elle encore beaucoup de projets en gestation. La petite fille aux origines juives d’Algérie, qui a grandi avec la valeur travail et qui ne s’est jamais découragée, a fait de son rêve d’enfant une réalité. Avec son nom d’emprunt qui évoque le voyage, Murielle Magellan se taille une voilure ambitieuse qu’aucun vent contraire ne semble pouvoir abattre. Mais quelle est donc cette brise qui la pousse vers la lumière  ?

 

L’auteure Murielle Magellan a le vent en poupe. Sa comédie « L’éveil du chameau », paru chez Dacres, qui se joue au Théâtre de l’Atelier, à Paris, est un tel succès qu’elle est programmée désormais à 21 heures au lieu de 19 heures. « Je suis contente que le public nous suive, confie l’auteure, le sourire rayonnant. Les gens semblent très heureux, amusés, touchés, concernés par la question de la paternité. Les facettes de ce texte sont mises en valeur par le travail de la metteuse en scène Anouche Setbon, des équipes artistiques et de tous les acteurs qui ont la subtilité, l’humour et l’audace que demandent les personnages. Comme ils sont beaux et élégants, la pièce prend du glamour, ce qu’elle n’avait pas forcément sur le papier. »

« L’éveil du chameau » est l’histoire d’un homme charmeur et sans principes et d’une femme à cheval sur les siens qui engagent des discussions houleuses et drôles sur la paternité. Mickaël (Pascal Elbé) se retrouve face à ses contradictions en apprenant que son fils, que lui-même n’a pas reconnu, a mis enceinte une jeune fille et se défile devant ses responsabilités. Maryse (Barbara Shulz), la mère de cette jeune fille veut convaincre le père d’agir, mais lui ne se sent pas concerné. « J’aime poser un regard vigilant sur l’intimité, un regard non normé, souligne l’auteure. Mickaël n’est pas normé dans sa façon de concevoir la paternité. Maryse est quant à elle très normée, mais pas dans sa façon d’aborder le désir. »

Murielle Magellan est une romancière thématique. L’intimité est le fil conducteur de ses écrits, qu’elle aime décliner sous des formes différentes. « Il peut arriver qu’un même personnage traverse mes romans ou d’autres textes », ajoute-t-elle. Ainsi, Mickaël, dans « L’éveil du chameau », par certains traits, ressemble au héros de son roman d’amour autobiographique « N’oublie pas les oiseaux », paru chez Julliard en 2014. En racontant sa relation, puissante et destructrice, avec celui qu’elle appelle “l’homme slave”, Murielle Magellan a souhaité « porter un regard indocile sur cet homme et le plus lucide possible sur cette histoire d’amour. » Aussi, avec Mickaël, ne peut-on pas retrouver la figure du père de l’héroïne de son quatrième roman, « Les Indociles », paru aux éditions Julliard en janvier 2016 et qui sera réédité en poche chez Pocket en janvier 2017. Dans ce roman qui relate la vie d’une croqueuse d’hommes, elle évoque un père qui se voit obligé d’élever sa fille quand la mère perd l’autorité parentale. »

Recueil de nouvelles, aux éditions Louison.

Dans sa nouvelle « Di doo doo (di da da da) » in le recueil « Lolita, Variations sur un thème », chez Louison Éditions, paru début décembre, Murielle Magellan a repris le thème de la femme-enfant dans un exercice imposé. Telle une variation sur un thème musical, la consigne de l’éditeur donnée aux dix auteurs (*) était d’écrire leur vision personnelle de Lolita, de Vladimir Nabokov, au travers d’une nouvelle originale. « Je me suis beaucoup amusée à écrire cette nouvelle, se souvient la co-auteure de “Sous les jupes des filles”.  Pour moi Lolita, outre la puissance littéraire du texte, c’était la collision entre la légèreté et le tragique. J’ai essayé de partir de ça.  » Elle ne veut pas en dire davantage sous peine d’en déflorer toute la substance.

Murielle Magellan aborde des thèmes tout aussi passionnants quand elle écrit pour les autres. Ainsi, actuellement, elle adapte le roman de Cécile Ladjali, « Illettré » (chez Actes Sud), pour France Télévisions. Jean-Pierre Améris sera aux commandes de la réalisation. C’est un concours de circonstances qui l’a embarquée dans l’aventure. Le réalisateur souhaitait tourner un film sur l’illettrisme. Murielle Magellan collaborait déjà sur un projet avec Cécile Ladjali qui publiait au même moment un livre sur ce thème. « J’étais à la croisée de ces désirs parallèles », relate-t-elle, le sourire complice au coin des lèvres. Elle a alors confié le livre à Jean-Pierre Améris qui a été enchanté. Et les choses se sont mises en place d’elles-mêmes. « Personnellement, je n’étais pas particulièrement sensible au sujet de l’illettrisme, poursuit-elle. En fait, j’étais plus sensible au traitement littéraire que l’auteure en avait fait et à l’aspect romanesque de cette question. » Maintenant qu’elle a « les mains dans le cambouis », cette question la passionne. Le printemps verra sûrement l’achèvement du scénario, mais il faudra attendre fin 2017/début 2018 pour découvrir à l’écran ce sujet original. 

C’est en travaillant au service des autres pour identifier leur univers et les réaliser que Murielle Magellan a pu identifier le sien et le développer. Le moteur de son écriture est de trouver la meilleure façon de transformer le réel, de le regarder en face, de manière la plus lucide possible, sans porter de jugement de valeur. « J’aime faire passer le réel dans l’athanor de ma discipline pour arriver à l’éclairer d’une autre façon, révèle-t-elle. Je le transforme et lui donne une forme artistique. Mon intention n’est pas de rendre beau ce qui ne l’est pas. » Mais, pour l’auteure, sa chance initiale est la notion de désir, qu’elle sépare de celle de talent. « Beaucoup d’artistes n’ont pas en eux une libido assez forte pour œuvrer à ce que leur talent se réalise et se concrétise, analyse l’auteure. J’ai eu beaucoup d’obstacles et de difficultés, mais j’avais une aptitude au désir qui se ressourçait sans cesse. J’en ai vu des talentueux qui s’épuisaient, car c’était trop dur pour eux. C’est une injustice, car ce n’est pas lié à l’art lui-même. »

“Les Indociles”, Julliard.

Si elle se réjouit de pratiquer son art dans de bonnes conditions maintenant, elle n’oublie pas que c’est un rêve d’enfant qu’elle a réalisé. Très jeune, elle ne voulait qu’une chose  : travailler dans les milieux artistiques. Elle n’avait qu’une hâte  : chanter, danser, faire le show comme dans les émissions de variétés de Maritie et Gilbert Carpentier qu’elle affectionnait, et surtout écrire. Après un bac littéraire à Montauban, Murielle est « montée » à Paris pour faire du spectacle. Elle a suivi trois formations de front. Elle a chanté au « Studio des Variétés » et a joué à « L’école du Théâtre national de Chaillot ». Parallèlement, elle a poursuivi des études de lettres jusqu’à la maîtrise de Littérature moderne. Elle s’est entêtée dans son rêve, elle ne s’est pas découragée. Elle est reconnaissante vis-à-vis de la vie, de ceux qui l’ont mise sur le chemin, qui l’ont accompagnée et cru en elle. « Quand on me disait “C’est bien, continue”, c’était pour moi des graines essentielles, explique l’auteure. »

Quand il lui arrive de regarder derrière elle, elle ne peut s’empêcher de s’exclamer  : « Whoua ! ». Ses parents ont grandi dans les quartiers populaires de Bab El Oued, en Algérie. Ils ont travaillé dur pour réaliser leur rêve. Son père est devenu chirurgien et sa mère professeur de français. Elle se souvient que celle-ci l’emmenait au théâtre et au concert à Montauban. Très vite, Murielle se passionne pour la lecture et l’écriture. « J’adorais les émissions littéraires, comme Apostrophe, l’émission de Bernard Pivot, où les écrivains prenaient le temps de s’exprimer, se remémore-t-elle. Je me disais alors qu’une fois vieille, je serais écrivain. C’est juste venu plus tôt que prévu  ! » Sa première pièce a été éditée à 34 ans et son premier roman est paru alors qu’elle en avait 40. « J’aime me rappeler qu’être écrivain était mon rêve d’enfant, même si le réel a rattrapé le rêve. »

Murielle a tout mis en œuvre pour l’atteindre. Par le travail, elle a fait fructifier son talent et a nourri son désir. Il lui restait à se trouver un nom qui se retienne, car son patronyme était bien difficile à prononcer. À l’école, Murielle en a beaucoup souffert. On le lui faisait répéter, on l’écorchait, on s’en moquait aussi. « Mon nom contient trois consonnes puis deux voyelles, précise-t-elle. Quand j’ai commencé à travailler dans le milieu artistique, on m’a conseillé d’en changer. Comme le préconisait Montaigne (**), j’ai eu envie d’avoir un nom qui se prononce et se retient aisément. Dans Magellan, il y a la notion de voyage et une notion céleste, j’aime sa sonorité. » Mais surtout, le choix d’un pseudonyme impliquait « une assez saine mise à distance de notre identité à notre personne artistique. Ainsi, notre personne intime n’est pas touchée par ce qui peut être bousculé dans la personne artistique. »

“N’oublie pas les oiseaux”, Julliard.

Avec de si belles cartes en main, Murielle Magellan ne peut que filer grand largue sur la route des plus beaux horizons. Que lui faudrait-il de plus  ? Que le rêve continue. Certes, mais encore  ? Murielle Magellan ne peut s’empêcher de porter un regard sévère sur le temps qui passe. Elle souhaiterait encore avancer dans son art, grandir en tant qu’écrivain. Elle verrait dans une traduction de ses romans comme une formidable étape. Cette reconnaissance qu’elle appelle de ses vœux, cette belle lumière dont elle aimerait être baignée, elle aurait tendance à l’appréhender. L’être humain est paradoxal, Murielle Magellan ne fait pas exception. Si elle ne se débat pas avec le complexe d’illégitimité, dont souffrent souvent les artistes, elle est retenue par une éducation portée sur la discrétion et une personnalité mue par l’humilité et la sobriété. Qu’il est bien ardu de concilier deux contraires  ! Entre ombre et lumière, n’y a-t-il pas un compromis qui réconcilierait la femme et l’artiste  ? Peut-être que la casquette de réalisatrice de film qu’elle adorerait endosser serait une voie royale à l’apprentissage discret de la notoriété  ? Alors moteur  ! Ça tourne  !

(*) Claire Berest, Catherine Locandro, Nicolas Rey, Christophe Tison, Émilie Frèche, Murielle Magellan, Emmanuelle Richard, Richard Millet, Philippe Besson et Maurice Couturier.

(**) « Il est avantageux de porter un nom facile à prononcer, et qui se retient facilement. »



 

“L’éveil du chameau”, de Murielle Magellan, mise en scène de Anouche Setbon, avec Barbara Schulz Pascal Elbé et Valérie Décobert, au Théâtre de l’Atelier, du mardi au samedi à 21 h et le samedi à 17 h 30. Texte paru aux éditions Dacres.
“Di doo doo (di da da da)”, nouvelle de Murielle Magellan in le recueil de nouvelles « Lolita, Variations sur un thème », chez Louison Éditions.
“Les Indociles”, roman de Murielle Magellan, chez Julliard. En poche chez Pocket en janvier 2017.
“N’oublie pas les oiseaux”, roman autobiographique de Murielle Magellan, chez Julliard. En poche chez Pocket en février 2016.


 

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2 réflexions au sujet de “Murielle Magellan, l’exploratrice des rêves”

  1. 2016- 2021
    bonjour,
    J’ai découvert Murielle Magellan avec” N’oublie pas les oiseaux”. J’a été profondément , très profondément touché par cette histoire car j’ai connu et côtoyé” FM” dans des circonstances que MM cite dans ce livre, j’ai été touché par l’écriture et j’ai lu 4 de ses livres ces derniers temps.
    Je suis à nouveau comblé avec “un refrain sur les murs”, Isabelle au milieu de la combustion du fer, du mouvement brownien.
    Comment le signifier à MM?
    Salutations,Miquèu

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  2. Pour la connaître depuis très longtemps, je ne peux que dire que vous avez bien , très bien cerné “ma Mumu”! Heureuse pour elle de ce beau papier

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