Fabrice Luchini, serviteur des mots sur un plateau d’argent

Temps de lecture : 4 min

 

THÉÂTRE & CO 

 

Avis de PrestaPlume “Coup de cœur”

 

17 janvier 2018 – Théâtre de la Michodière ©NG

Si l’argent rend fous les gens selon Émile Zola, Fabrice Luchini égaie cette folie en la décryptant au travers d’auteurs résidant au Panthéon du génie. Avec son nouveau spectacle, Les auteurs parlent d’argent, au théâtre de la Michodière, puis aux Bouffes Parisiens, ce passionné extatique des mots et de leur ordonnancement se surpasse. Chaque spectacle, par l’incarnation possédée des lectures, de leurs commentaires facétieux et des improvisations hilarantes, est une prouesse de l’intelligence et du corps. Sous les couleurs de l’argent, ce show-là prend littérairement aux tripes. Si par tradition le sujet fâche, Fabrice Luchini est le médiateur par excellence. Il a rassemblé des textes éminemment connus, mais aussi des trésors oubliés évoquant la perception de l’argent par leurs auteurs. En semant au vent inspirateur des Zola, Marx, Shakespeare, Cioran, Péguy, Céline, Hugo, Freud, Ferenczi, Bruckner, Guitry, Cau, Fabrice Luchini provoque la ruée vers l’enrichissement de l’esprit et du cœur. 

Dans un silence d’or pour que la parole soit d’argent

17 janvier 2018 – Théâtre de la Michodière ©NG

À chaque représentation, le comédien vit en communion parfaite avec un public “au taquet” pour ce marathon du Verbe sans fard. Il joue avec lui, le teste, l’égratigne, le félicite, l’encense même. Viscéralement, il aime sans compter son public qui le lui rend bien. Pour le croire, il suffit d’entendre cet amour, de l’ordre du vénérable, qui se manifeste dans un silence d’or pour que la parole soit d’argent. Et la parole de Luchini n’a pas de prix quand il répand ses textes choisis tel un Klondike charriant des pépites de bonheur. Chacun y trouvera son compte, que l’on soit bourgeois ou miséreux, intellectuel ou manuel, de droite ou de gauche, ou du néant, femme ou homme, ou que l’on entretienne son feu intérieur seul ou accompagné. Fabrice Luchini le promet, il ne laissera personne sur le bord du chemin ! Quitte à répéter deux, trois, quatre fois ses phrases, sa fougue des passions heureuses sera une main tendue. Bienveillante et généreuse.

Travailler ne suffit plus pour garantir sa survie

Ainsi, Émile Zola vient ressusciter le temps d’un extrait ce “chasseur de débiteurs” affamé de faillites traquant les mauvais payeurs (L’argent, 1891). Dans Les Manuscrits de 1844 (1932), Karl Marx surprend en philosophant sur cet argent qui “fait fraterniser les impossibles” et “transforme toutes les impuissances en leur contraire“. Si l’argent permet à un homme laid de se pavaner au bras d’une créature de rêve, c’est que l’argent le rend beau. La démonstration est implacable ! Shakespeare n’a-t-il pas écrit, lui, que c’était l’argent qui faisait remarier la veuve flétrie ! “Celle dont ses ulcères dégoûteraient l’hôpital, l’or la parfume et l’embaume, et la ramène au mois d’avril.” Un an avant de mourir au Front, Péguy met en scène dans un long texte (L’argent, 1913) la financiarisation du monde, déterminant que travailler ne suffit plus pour garantir sa survie. Luchini n’oublie pas d’interpréter Céline (Voyage au bout de la nuit, 1932) qui décrit New York comme une ville debout qui “… se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur” et qui n’accueillait bien que les Européens qui leur apportaient “du pognon“. Citons le texte Ruy Blas (1838) qui a donné lieu à un échange imprévu des répliques entre le comédien et un spectateur, amateur de théâtre, qui s’est invité ce soir-là dans la danse des mots de Victor Hugo. Un moment de grâce inoubliable !

17 janvier 2018 – Théâtre de la Michodière ©NG

Trop de matières, trop d’envies en ont retardé l’éclosion

Soufflée par l’homme politique Dominique Reynié, l’idée de mêler l’argent à son histoire d’amour avec les écrivains a mûri pendant quelques années dans la tête de Fabrice Luchini. Trop de matières, trop d’envies en ont retardé l’éclosion. Puis, un jour, il a trouvé l’agencement de ce spectacle sur l’argent vu par de célèbres penseurs, sur ce que l’homme fait en son nom, sur son pouvoir sur les idées et ceux qui les manipulent. Pour l’aider à franchir le pas, la crise des subprimes en 2008 qui l’a projeté dans une terreur sans nom. Ainsi, le spectacle n’est pas qu’une lecture passionnée et passionnante, et un décryptage amusant et toujours pédagogique de textes d’auteurs. Le comédien y raconte aussi son propre cauchemar sur la perte éventuelle de son pécule, sa crainte pour ses investissements dans le fond Euro, ses soirées à ingurgiter jusqu’à la nausée l’émission “C dans l’air” pour tenter d’appréhender les rouages de cette crise. Usant d’un humour décapant, il exorcise ses angoisses – qui sont aussi un peu les nôtres –, cette peur du lendemain qui déchante puisque l’éclatement d’une autre bulle spéculative n’est pas exclu, selon l’économiste Philippe Dessertine. Ah ! ces Cassandres peuvent bien pérorer sur les ondes, le meilleur investissement dans cette actualité incertaine c’est bien le spectacle de Fabrice Luchini. Au moins, le public en a pour son argent : il repart comptant et enrichi !

Nathalie Gendreau

 


« Des écrivains parlent d’argent »
 
Distribution
Avec : Fabrice Luchini.

 

Créateurs
Auteurs : Fabrice Luchini lit Charles Peguy, Émile Zola, Pascal Bruckner, Karl Marx, Marcel Pagnol, Sacha Guitry, Jean Cau…
Avec la collaboration de Dominique Reynié.
Mise en scène : Emmanuelle Garassino
Assise Production. 

 

Le lundi à 20 heures, et les mardi et mercredi à 20h30, jusqu’au 20 février 2018.
 

 

Au Théâtre de la Michodière, 4 bis rue de la Michodière, Paris 75002.

Prolongation au Théâtre des Bouffes Parisiens du 15 octobre jusqu’au 14 novembre 2018.

 

Durée : 2 heures.

 

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1 réflexion au sujet de « Fabrice Luchini, serviteur des mots sur un plateau d’argent »

  1. Merci Nathalie Gendreau pour ce “Luchini” qui manifestement s’est surpassé ! Comme souvent, cela donne envie de voir, et d’écouter, cet orfèvre des mots.

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