“Cadavre, vautours et poulet au citron”, Guillaume Chérel

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Autour de l’Opéra, c’était comme un décor de théâtre, avec ces maisons de poupées qui contrastaient avec la chaussée défoncée des boulevards alentour, où des bus et autres tramways, gavés de passagers jusqu’à la gueule, brinquebalaient poussivement dans les nuages de pot d’échappement sur de la neige fondue mêlée de boue. Aux carrefours, des haut-parleurs fixés sur des camions de police hurlaient aux automobilistes de dégager, dans un concert de sifflets, sirènes et coups de Klaxon. L’ensemble donnait une impression de grand bordel organisé. Un peu comme mon bureau et ma vie amoureuse. Et je ne vous parle pas de ma vie sexuelle dans mon bureau…” (page 59)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

 

Après l’originalité décalée d’Un très bon écrivain est un écrivain mort, Guillaume Chérel poursuit son grand bonhomme de chemin avec un polar massif qui fleure le fumet parodique, intitulé Cadavre, vautours et poulet au citron. Le décalage narratif est cette fois encore de rigueur, comme le climat de la Mongolie où se situe l’action. Le dépaysement fouette le visage et brûle la couenne des personnages, mais également des lecteurs. Ce pays rugueux s’offre sans retenue, comme les prostituées dans les bars tous borgnes. Car, là-bas, dans ce pays du bout du monde – ou de fin du monde –, qui ne boit pas n’est pas un homme. Bastons, beuveries, dégrisement dans le stupre voisinent avec la fourberie, les coups foireux, l’éclosion d’un amour vache sous la yourte et de sombres histoires de gros sous. Mais quand Jérôme Beauregard va-t-il passer à l’action ? Si l’attente est insoutenable, elle prépare aux actions musclées d’une enquête qui se mène quasi toute seule, par la simple imbrication d’événements. Pour compenser les coups de retard ou dans le pif, le détective applique la loi du Talion. Quand il le faut, il sait rentrer dans le lard ! Tout comme l’auteur qui ne donne pas dans la demi-mesure ! Écriture décidément très contemporaine, volcanique, directe, elle distribue les uppercuts comme il lève le bras : “Vous reprendrez bien un verre ?”

Jérôme Beauregard se déclare détective public, “public” parce qu’il déteste être dans la norme. Tuant le temps à zoner dans son appartement parisien, rêvant d’aventures et de voyages, l’un de ses amis, Pat, l’appelle à la rescousse. On l’accuse plus ou moins d’avoir tué un homme, un Chinois. Bon, c’était un accident, ce n’est pas pareil ! Mais ce chef d’entreprise heureusement très influent vit en Mongolie où il a fait fortune dans les mines d’or. Que lui fallait-il à ce détective en herbes folles pour déclencher l’accord irrémédiable qui allait l’entraîner dans des aventures très dangereuses pour son matricule ? Trois fois rien, la vidéo d’un cadavre ligoté sur une moto qui se fait dépecer par des vautours. Il faut dire que c’est une coutume locale… Mais quand même, un tantinet menaçante, non ? En tout cas, c’est ce qui allume chez Jérôme la petite flamme aventurière, muselée par un quotidien qui se morfond. Le voilà parti dans une enquête brumeuse, pour ne pas dire neigeuse, où les visages des gentils et des méchants sont interchangeables sur fond d’escroquerie, de mafia, de ninjas, de chamans, de bikers nazis où s’incruste la menace fantôme d’une “milliardaire rouge”.

Cadavre, vautours et poulet au citron est décapant, un polar fou qui prend son temps sur la rampe de lancement. Histoire de bien imbiber les personnages de leur rôle. Malgré soi, malgré la bienséance, on est happé par les errements du détective qui est obligé par son nouvel employeur de passer des semaines à s’acclimater autour de verres de Vodka, pour bien jauger le danger et pister le loup, tant animal qu’humain. De mensonges en fausses pistes, on découvre Oulan-Bator, la capitale la plus polluée, ses rues glauques, ses habitants rudes et ses coutumes ancestrales qui gouvernent encore les esprits. Entre paysages de steppe et désert de Gobi, Guillaume Chérel captive par les descriptions métaphoriques des lieux et des personnages très typés. Il s’est une nouvelle fois bien amusé à nous conter cette mystérieuse histoire de menace de mort. Mais pas seulement ! Fortement documentée, finement croquée, elle est aussi l’instantané d’un pays en déflation économique, d’une température, d’une atmosphère entre chien et loup… Un mélange d’Indiana Jones et de San Antonio, où se confondent un peu d’humour, beaucoup de passions et pas du tout de complexes !

Nathalie Gendreau

 

Éditions Michel Lafon, février 2018, 398 pages, à 18,95 euros.

 

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