“La Correction”, Guillaume Lafond (Intervalles)

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Premier roman de Guillaume Lafond, aux éditions Intervalles, « La Correction » n’est pas la fessée brandie comme menace pour faire tenir un enfant sage – quoi que ! –, mais un passionnant roman qui propulse le lecteur dans un monde bien réel, aux mains d’une organisation mythologique. Tels les dieux de l’Olympe, les Augustes et les Justes interviennent dans la vie de pauvres mortels pour leur faire prendre conscience de leur moralité douteuse, de leur déchéance prochaine. Les premiers, le parti qui gouverne, sont pour la méthode douce ; les seconds, le camp adverse, prône la manière forte. Ce sont les élections, et le second parti a désormais toutes les chances de s’imposer aux urnes des électeurs de l’au-delà. Dans cette attente, la politique de l’institution du Schéma visant à corriger l’homme par la peur du pire entre en action. Elle va se charger du destin de cinq anonymes, tous liés de près ou de loin par des intérêts communs. Cinq personnages à corriger, dont l’auteur nous donne à comprendre les névroses qui les poussent à n’être que le reflet de ce qu’ils pourraient être. Le dénominateur commun étant la peur de manquer. D’argent, d’amour, de reconnaissance… ? Peu importe. Le manque non conscientisé, non verbalisé, non sublimé conduit à la faillite personnelle et, par effet papillon, collective. Et Guillaume Lafond nous le donne à ressentir d’une façon originale et homérique.

“Bulle de savon”, Sylvia Hansel

Temps de lecture : 2 min LITTERATURE
Voilà un roman qui colle au titre aussi bien dans sa forme que dans son fond. « Bulle de savon » est le récit dense et intense d’une plongée dans l’abîme d’une jalousie, d’une relation toxique faite de passion et d’abandon. L’auteure, Sylvia Hansel, qui travaille dans la presse musicale, tout en chantant et jouant dans des groupes de rock, s’était déjà essayée à la satire sociale avec « Les adultes n’existent pas ». Dans « Bulle de savon », elle traite de l’amour éphémère, aussi fragile qu’une bulle de savon. Notre héroïne est une jeune femme indépendante, préférant les relations d’un soir à des histoires perdues d’avance. Pourtant, d’un regard, elle tombe en pâmoison devant un Britannique plus jeune qu’elle, au charme indéniable. Mais, après une courte liaison enfiévrée, l’amant met fin à l’idylle, brutalement, sans tact ni explications qui vaillent. C’est alors la lente chute libre jusqu’à l’autodestruction. Livre très court, à l’écriture nerveuse et impertinente. Sylvia Hansel n’y mâche pas ses mots, elle les choisit crus et imagés, sans s’encombrer de fioritures. Tout est dans le choc que les mots produisent au contact des émotions. Le tout est assaisonné d’un humour ravageur. L’auteure lui donne ce ton direct, nature, qui apporte au drame un versant comique, si irrésistible qu’on aurait aimé que ce soit un tout petit plus long. Mais peut-on regretter qu’une bulle de savon éclate bien trop tôt ? Où serait le plaisir sinon ?

Critique de “Un grand serviteur”, Dimitris Sotakis (♥♥♥♥)

Critique Un grand serviteur prestaplume

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Lire Dimitris Sotakis revient à s’immerger dans un ailleurs étrange et intrigant, une conscience démultipliée qui s’égare dans un labyrinthe. Dans « Un grand serviteur » (éd. Intervalles), l’auteur file l’absurdité d’une relation toxique en miroir jusqu’à une fin… logique, même si décalée. La trame est un rapport de force entre deux hommes qui s’inverse. Le premier est un patron aisé qui se montre de plus en plus autoritaire et exigeant face à un serviteur qui coche toutes les cases de la perfection. Ce serviteur s’appelle Marios, il lui ressemble fortement, laissant supposer que les deux hommes sont frères. Il est soumis, discret, taiseux, reconnaissant même. Peu à peu, par peur, le premier délèguera des pans de sa vie au second. Dans un style vif et direct, Dimitris Sotakis crée dès les premières pages une atmosphère inquiétante, dérangeante. On s’attend à l’analyse introspective d’une soumission à un tiers maltraitant. Mais il y a plus, il y a mieux, il y a une permutation des situations jusqu’au-boutisme. Le glissement s’opère à petits traits, inexorables, implacables. Pour qui est la descente aux enfers ? Le lecteur doit se rendre à l’évidence : sa déduction est prise à revers. Il doit reconnaître sa défaite face à une fin qui tranche net tout espoir. Quoi que… Et c’est là toute la jubilation de ce roman habilement construit.

Critique de “La vie suspendue”, Baptiste Ledan (♥♥♥♥♥)

Roman La vie suspendue

Temps de lecture : 2 min LITTERATURE
Baptiste Ledan chérit la littérature et les auteurs. Son premier roman « La vie suspendue », paru aux éditions Intervalles, est en soi un cri d’amour explicite, conduit par ce désir sous-jacent de se faire voix de leurs inspirations. Convoquer les auteurs français et étrangers les plus marquants du siècle passé dans cette fable satirique et fantaisiste est la démonstration d’une culture étendue qui se réinvente à l’aune de la reconnaissance et de la continuité. Dans ce roman original et philosophique, le temps est comme « suspendu » aux souvenirs qui se lassent sans possibilité de trépasser. Tomas Fischer est en deuil, il n’aspire qu’à se mettre en retrait de la société et de cette vie trop animée pour sa douleur inconsolable. Alors il part dans cet endroit où tout étranger ne peut qu’être en transit, sous peine d’expulsion. Cette ville se nomme Lasciate, elle est grise et triste comme l’ennui. C’est le lieu idéal pour supporter sa peine. Il s’y plaît tellement qu’il y restera, devenant ainsi clandestin. Ses quelques amis, étouffant sous leur âge canonique, se serviront de son empathie pour les délivrer de la vie.

“Les Meilleures intentions du monde”, Gabriel Malika

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Du petit village de pêcheur créé au XVIIIe siècle, Dubaï a écrit son mythe à l’or noir. Au fil des années et des projets architecturaux pharaoniques, la capitale des Émirats arabes unis s’est enrichie, se déployant dans la démesure, la grandeur et le faste, repoussant sans cesse les limites du désert et de la mer Persique. Depuis son jaillissement, cette oasis de verre et de béton attire comme un aimant toutes les nationalités. À l’occasion de l’exposition universelle de Dubaï, qui s’achève le 31 mars 2022, « Les Meilleures intentions du monde » (éd. Intervalles) reparaît en édition de poche. Témoin privilégié de ce rêve fou devenu réalité sidérante, Gabriel Malika nous livre dans ce roman à suspense et immersif une vision critique, personnelle et passionnée, toujours d’actualité. L’auteur prend le prétexte d’un événement imprévisible et destructeur pour dépeindre dix figures représentatives de la population cosmopolite de cette ville arabe où l’argent coule à flots… pour qui sait entreprendre. On y saisit les enjeux financiers et culturels de cette capitale qui fait office à la fois de carrefour, où transite tout ce qui peut être vendu et acheté, et de symbole d’un monde arabe en mutation. Une visite guidée en mots et en images éloquente !

“Le dernier juif de France”, Hugues Serraf

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Titre aussi ambitieux qu’intrigant, « Le Dernier juif de France » (éd. Intervalles) est une satire sur notre société et la marche du monde. Le héros narrateur de ces temps post-modernes est un journaliste juif en fin de carrière, la cinquantaine chauve, blasé et un rien narquois, en couple avec une chef de la publicité, plus jeune, intelligente et… musulmane. Son principal challenge dans la vie est d’arrêter d’essayer d’arrêter de fumer et d’enfourcher son vélo le week-end. Critique de cinéma à Vision, il voit d’un œil moqueur l’arrivée dans la rédaction du nouveau grand manitou qui promet le Grand soir, version 3.0, et qui entend soulever la poussière des bureaux. Bref, la rédaction est devenue un endroit où les vieux de la vieille ne cultiveront plus leur paresse. Place au sang neuf ! Cette génération ultra vitaminée et je-sais-tout a pour délicate mission de tirer vers le néo-progressisme cet hebdomadaire déclaré ringard. Il en va de la survie du journal. Le ton critique, l’humour grinçant, provocateur et décomplexé, Hugues Serraf se fait le chroniqueur impitoyable d’un métier qui se transforme et d’une époque tumultueuse où les repères sont enterrés sans cérémonie d’adieu. Ni égards ni reconnaissance pour les anciens. L’auteur et journaliste joue avec intelligence et drôlerie avec les travers de notre société pour servir son propos sur un plat d’argent. Un pur délice !

“En haut de l’affiche”, Fabrice Châtelain

Temps de lecture : 3 min CHRONIQUE
À quelles compromissions est-on prêt pour se hisser « En haut de l’affiche » ? Dans le premier livre de l’avocat Fabrice Châtelain, paru aux éditions Intervalles, vous le saurez… le sourire aux lèvres. Délicieuse satire du milieu cinématographique, ce roman joue sur des quiproquos qui tombent en rafales et entraînent Vincent, ce héros malgré lui, dans une spirale descendante. Auteur d’un scénario, cet être bourrelé de complexes rêve de célébrité. Il croit y parvenir lors d’un vernissage d’art contemporain, où il espère briller au bras de la séduisante et ambitieuse Noémie qui le prend pour un grand critique d’art free-lance. Dans son roman, Fabrice Châtelain porte un regard cru et acerbe sur les milieux du cinéma et de l’art contemporain tout en se faisant le procureur de ces prétendus artistes enflés de pouvoir, imbus d’eux-mêmes, rompus aux faux-semblants et aux artifices. Il nous les montre en flagrant délit de déconnexion de la réalité, coupables au point de se servir du malheur de la société pour l’emballer dans du politiquement correct nauséabond et ridicule. Les personnages sont truculents, tantôt attendrissants, tantôt pitoyables, à la moralité à géométrie variable. Bref, terriblement humains. Le traitement original du sujet et l’inclémence du propos, amplifiés par un style au couperet, transforment ce coup d’essai en un très agréable moment de lecture.

“Le ballet des retardataires – Tokyo, tambours et tremblements”, Maïa Aboueleze

Temps de lecture : 3 min CHRONIQUE
Un premier roman percutant, dépaysant, élégant, aussi court que puissant, qui s’imprime en soi par ricochets. « Le ballet des retardataires – Tokyo, tambours et tremblements » est un beau texte autobiographique, qui relate l’apprentissage de son auteure, Maïa Aboueleze, à l’art du tambour japonais traditionnel : le taïko. Après des études de danse au conservatoire et d’histoire à l’UCO d’Angers, Maïa Aboueleze devient comédienne, puis se passionne pour le taïko. En 2011, elle obtient la bourse Vocatio et part perfectionner son jeu à Tokyo, sans rien connaître du Japon, de ses traditions, de ce monde hermétique du taïko qu’elle pénètre à tâtons, en totale soumission et sans connaître la langue. Première Européenne à avoir franchi les portes de l’école la plus secrète de Tokyo, l’auteure nous livre un témoignage poétique et piqueté d’humour sur les traditions, la discipline, l’exigence quasi militaire et l’abnégation dont elle doit fait preuve, comme les autres élèves, sinon plus, pour avoir le droit de conserver sa place. Une belle école d’apprentissage qui fait réfléchir à l’efficacité de nos propres instances éducatives.

“Les bonnes mœurs”, Timothée Gaget

Roman Thimotée Gaget

Temps de lecture : 2 min CHRONIQUE
“Les bonnes mœurs” de Timothée Gaget est un premier roman astucieusement ficelé, qui dévide sa pelote avec l’éloquence de l’avocat que l’auteur fut, avant de l’employer dans une agence de communication. “Les bonnes mœurs” opposent deux mondes : la gauche technocratique face à la droite rurale, catholique et conservatrice. C’est aussi une rencontre humaine puissante et silencieuse : Tristan et Bon-papa, son grand-père. Le banquier d’affaires parisien, narrateur antihéros, grille sa vie, courant de soirées en partouzes, sniffant des rails de coke et sifflant des cocktails explosifs. Le comte de Barmonne est un taciturne Solognot, ruminant la folie du monde, acariâtre endurci, chasseur et garant des traditions.

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